KAZIMIERZ ŻORAWSKI

Cet essai-souvenir sommaire, je le dédie à la mémoire de mon éminent
grand-père – Kazimierz Żorawski

Stanisław Suszczyński

LA PENSEE MATHEMATIQUE POLONAISE

Depuis des siècles la pensée mathématique polonaise apporta sa contribution au développement des mathématiques mondiales. Il n’est que d’évoquer Wojciech de Brudzew (1445-1487), Jan Brożek (Broscius) (1585-1652), Nicolas Copernic (1473-1453) qui étudia les mathématiques et l’astronomie de 1491 à 1495 à l’Université Jagellon de Cracovie, fondée en 1364; A.A. Kochański (1631-1700), mathématicien à la cour du roi Jean III Sobieski; Jan Śniadecki (1756-1830), propagateur de mérite des sciences mathématiques à l’époque des partages de la Pologne – on lui doit l’adaptation en polonais de la terminologie d’alors en la matière (całka – l’intégrale, różniczka – la différentielle); ou encore Samuel Dickstein (1851-1931) qui fonda la revue “La bibliothèque mathématique et physique”.

A compter de la fin du XVIIIe siècle nombreux furent ceux qui s’expatrièrent sans pour autant rompre les liens avec le pays. Il s’agissait de fortes individualités mises dans l’impossibilité de développer leurs talents sous le pouvoir des démembreurs. Parmi eux il y eut des mathématiciens tels J.M. Hoene-Wroński (1778-1853), L. Lichtenstein (1878-1933), S. Bergman (1895-1977), W. Hurewicz (1904-1956).

Dans le rang des mathématiciens polonais de mérite, on ne peut omettre Marian Rejewski (1905-1980), ce cryptographe qui, avant la Seconde Guerre mondiale déchiffra le code de la machine allemande Enigma et, par là, contribua sans nul doute à la victoire de la coalition anti-nazie.

Quant à la liste des mathématiciens polonais contemporains, on peut la consulter sur Internet à la vitrine de l’Institut Mathématiques de l’Academie Polonaise des Sciences – www.impan.gov.pl.

Des mathématiciens polonais nés à la fin du XIXe siècle qui allaientjeter les fondements des mathématiques polonaises non seulement par leur oeuvre scientifique mais aussi par leur engagement dans l’enseignement et l’organisation des centres polonais de mathématiques, il faut nommer les professeurs Stanisław Zaremba (1863-1942) et Kazimierz Żorawski (1866-1953).

A la charnière des XIXe et XXe siècles, donc toujours sous les partages, oeuvraient dans les centres scientifiques polonais de Lvov, Cracovie et Varsovie des groupes de mathématiciens aux pôles d’intérêt diversifiés qui allaient donner lesdites “Ecoles mathématiques“: varsovienne, lvovienne et cracovienne.

Stanisław Zaremba et Kazimierz Żorawski furent les cofondateurs de l’Ecole mathématique cracovienne dont firent partie les professeurs Franciszek Leja, Władysław Ślebodzinski et Tadeusz Ważewski.

L’Université Jagellon devint ainsi le centre de l’analyse classique des équations différentielles et des fonctions analytiques.

Dans les Annales de la Société Polonaise de Mathématiques (1958) Władysław Ślebodzinski évoque le rôle tenu par Stanisław Zaremba et Kazimierz Żorawski pour le développement des mathématiques polonaises:

“… On peut dire que, grâce à ces deux scientifiques, les mathématiques polonaises [sous les partages – n.d.l’aut.] ont cessé d’être uniquement consommateurs des pensées et résultats étrangers. Avec eux elles prennent une part active dans le développement de cette science. Dans les conditions politiques d’alors, Stanisław Zaremba et Kazimierz Żorawski furent, pendant une quinzaine d’années, les uniques représentants auprès de l’étranger des mathématiques polonaises. (…) Rappeler ces faits en les juxtaposant avec l’état actuel met en exergue l’immense progrès accompli (…) en dépit de la catastrophe subie par les mathématiques polonaises pendant l’invasion nazie”.

L’éminent professeur norvégien Sophus Lie, professeur à Leipzig, l’auteur de la théorie des groupes continus, écrit, à propos des ouvrages consacrés aux groupes de conversion : “ D’entre les dissertations leipzigoises, évoquons en particulier le superbe ouvrage de Żorawski sur les invariants de flexibilité. Avec beaucoup d’habilité Żorawski s’est livré aux calculs difficiles et compliqués qu’il fallait pour résoudre les problèmes…”.

Dans son ouvrage sur le développement des mathématiques au XIXe siècle, l’éminent mathématicien allemand Feliks Klein, cite, de tous les mathématiciens polonais, un seul nom – celui de Kazimierz Żorawski.

Kazimierz Żorawski s’occupait d’un domaine particulièrement difficile des mathématiques – des invariants continus des groupes de conversion qui furent appliqués à d’autres domaines des mathématiques, avant tout aux équations différentielles, à la géometrie et à la physique.

LE TRAVAIL SCIENTIFIQUE DANS LA VIE DE KAZIMIERZ ŻORAWSKI

Il est né le 22 juin 1866 à Szczuczyn, dans le district de Ciechanow. En 1884 il termine ses études secondaires classiques à Varsovie. De 1884 à 1888, il étudie les sciences mathématiques à l’Université de Varsovie, en 1889 il obtient le grade de candidat aux sciences mathématiques pour son traité en matière d’astronomie reposant sur les observations auxquelles il se livra pendant dix mois à l’Observatoire Astronomique de Varsovie.

Les années suivantes il étudie à Leipzig la théorie des groupes de conversion et la mécanique analytique, puis à Göttingen, la théorie de la fonction et la théorie des équations différentielles. En 1891 il obtient à Leipzig le titre de docteur en philosphie pour sa thèse sur les applications de la théorie des groupes de conversion à la géometrie différentielle. En 1892 c’est l’habilitation et il est chargé de cours à l’Ecole Supérieure Polytechnique de Lvov où il enseigne différentes matières en mathématiques et, à partir de 1893, il est de plus suppléant à la chaire de mécanique.

En 1893, il reçoit le veniam docendi en mathématiques à l’Université Jagellon à Cracovie. En 1895 il part à Berlin étudier la géodesie supérieure, puis regagne Cracovie où, le 1er mai, il est nommé professeur extraordinaire et, à partir de 1898, professeur ordinaire de mathématiques à l’Université Jagellon. Etant donné le nombre réduit de professeurs, il enseigne différentes matières, autant l’analyse que la géométrie.

En 1900, il est élu membre-correspondant de l’Académie Savante à Cracovie. Pour le semestre d’hiver 1901-1902, il se voit alloué une subvention gouvernementale pour parfaire ses études à Leipzig et à Paris. Puis il continue à enseigner la géométrie analytique et synthétique, la géométrie différentielle, la théorie formelle des équations différentielles, pures et fractionnelles, la théorie des formes et la théorie des groupes de conversion.

De 1905 à 1906, il est doyen de la faculté de philosophie. En 1910, il devient membre-correspondant de la Société Royale Tchèque des Sciences à Prague. A partir de 1911, il est président aux affaires du Comité Scientifique de la Fondation Dr Władysław Kretkowski et, à partir de 1913, il participe à l’activité du Comité Organisationnel de l’Académie des Mines à Cracovie. De 1917 à 1918, il est recteur de l’Université Jagellon.

En 1919 (date du recouvrement de son indépendance par la Pologne), il s’installe à Varsovie ou il est nommé professeur ordinaire de mathématiques à l’Ecole Supérieure Polytechnique et donne à la fois des cours sur l’application de l’analyse à la géométrie, à l’Université de Varsovie. La même année il devient membre de la Société Polonaise de Mathématiques.

En 1920, il est membre permanent de la Société de Sciences et de Lettres de Varsovie et membre actif de l’Académie des Sciences Techniques de Varsovie. En 1920-1921, il dirige le département de l’Instruction et des Ecoles Supérieures au ministère des Cultes et de l’Instruction Publique.

En 1926, il passe à l’Université de Varsovie en tant que professeur ordinaire de mathématiques. En 1935 il prend sa retraite après 46 années consacrées au professorat et se voit conférer le titre de professeur honoraire de la faculté de mathématiques et de sciences naturelles de l’Université de Varsovie.

De 1926 a 1931, il est président de la Société de Sciences et de Lettres de Varsovie et oeuvre à la restauration de son siège – le palais Staszic. Pour services rendus à la Société, une médaille commémorative à son effigie est frappée. En 1929, il est élu membre-correspondant de la Société Géographique à Lima au Pérou.

Les quelques soixante-dix ouvrages scientifiques du pr Kazimierz Żorawski portent principalement sur la géométrie analytique, la géométrie différentielle, la théorie des groupes de conversion, la théorie des équations différentielles, la cinématique des milieux continus, la géométrie imaginaire et d’autres branches mathématiques…

Quelques années avant la guerre et pendant l’occupation nazie, le pr Żorawski travaillait à d’autres ouvrages sur la géométrie analytique ayant pour objet les principales figures planes de premier et second degré et les propriétés différentielles des figures planes réelles et imaginaires. Ces travaux étaient aux trois-quarts achevés lorsque l’Insurrection de Varsovie éclata. Le pr Żorawski partage le sort des dizaines de milliers de Varsoviens qui, expulsés de la capitale, sont dirigés à Pruszkow, en banlieue. Son appartement avec tous ses biens et son acquis scientifique des dernières années, est entièrement brûlé.

Libéré avec un groupe d’autres scientifiques du camp de Pruszków ce, grâce à l’intervention de la Croix Rouge polonaise, il trouve asile à Nieborów chez les Radziwiłł. Après l’entrée de l’Armée Rouge, il regagne Varsovie détruite et habite un temps chez sa fille Leokadia Paprocka. Ensuite le Ministère de l’Education lui alloue une chambrette avec cuisine à la Maison des Etudiants, place Narutowicz. C’est là qu’il reconstituera aux deux-tiers (2650 feuillets) son oeuvre brûlée.

En 1952 il est nommé membre titulaire de l’Académie Polonaise des Sciences. Il est aussi décoré de la Croix de Commandeur de l’Ordre Polonia Restituta et de la Croix d’Or du Mérite.

Il meurt le 23 janvier 1953.

Après son décès, les scientifiques apprécierent l’importance de son oeuvre pour le développement des mathématiques polonaises – qu’en témoigne le télégramme adressé alors à sa famille :

“…nous présentons à la famille du pr Kazimierz Żorawski, l’expression de notre profonde compassion. Il fut le premier des scientifiques de sa génération à porter , à l’histoire des mathématiques mondiales, le nom de la Pologne = Bronisław Knaster, Edward Marczewski, Hugo Steinhaus, Władysław Ślebodziński “.

DU CALENDRIER FAMILIAL

Les parents de Kazimierz Żorawski étaient Juliusz Bronisław Wiktor (1833-1905) et Kazimiera née Kamieńska. Sa mère avait pris part au mouvement insurrectionnel de 1863 et avait été emprisonnée par les autorités russes. Le père de celle-ci avait été, lui, incarcéré à la citadelle de Varsovie où il devait décéder.

En raison de la perte, pour des raisons politiques et économiques, du domaine familial “Dunaj”, alors qu’il était encore garçonnet, Juliusz ne put bénéficier d’une éducation adéquate. Cela ne l’empêcha pas de devenir un agriculteur chevronné dont les compétences rayonnaient dans toute la région mazovienne. A Chojnów, il dirige une station agricole expérimentale. Il devient actionnaire de la sucrerie Krasiniec, acquiert le domaine Szczuki dont il fait une ferme modèle accueillant des stagiaires et que viennent visiter les agriculteurs éclairés.

Revenons à Kazimierz. Il a trois frères – Władyslaw, Juliusz, Stanisław – et deux soeurs –Bronisława et Anna. Władysław, après avoir étudié l’industrie sucrière à Berlin, deviendra un spécialiste en la matière. Stanisław, devenu propriétaire du domaine d’Obrębiec près de Przasnysz, sera arrêté par les Allemands en 1940 et il périra au camp de Mauthausen-Gusen. Juliusz reprendra le domaine familial à Szczuki. Quant à Kazimierz, nous le savons, il consacrera sa vie aux mathématiques.

On ne peut omettre ici un détail de sa vie. Encore étudiant, Kazimierz fit la connaissance de celle qui allait devenir une savante de renommée mondiale – Maria Skłodowska. Le futur mathématicien et la jeune-fille se plurent, un profond sentiment les unit. Néanmoins leurs chemins se séparèrent..

Kazimierz Żorawski comme l'étudiant

Kazimierz épousa Leokadia Jewniewicz, pianiste de talent. Elle était la fille de Maria née Moszczyńska et d’Hipolit Jewniewicz qui, par la force des destins polonais, fut jeté en terre etrangère: il était professeur à l’Institut de Technologie à Petersbourg et se spécialisait dans les mathématiques appliquées. Un de ses travaux “La théorie de L’élasticité”, fut publié à Varsovie en 1910, après sa mort.

Kazimierz et Leokadia eurent trois enfants – Juliusz, Leokadia et Maria (la mère de l’auteur de ces lignes). Juliusz devint un architecte réputé, comparé au Corbusier. Après la Seconde Guerre mondiale il fut professeur d’architecture à l’Ecole Supérieure Polytechnique de Cracovie.

Il s’avéra qu’un autre lien chaleureux allait unir les familles Żorawski et Skłodowski. Le neveu de Maria Skłodowska-Curie, Władyslaw Skłodowski, épousa la nièce de Kazimierz, Maria Rykowska. Leur fils, Jacek Skłodowski prit une part active en 1944 à l’Insurrection de Varsovie. Il devait périr de ses blessures après l’Insurrection.

L’oncle de Kazimierz, Jan Gwalbert Bonawentura Jordan-Żorawski fonda la lignée française de la famille Żorawski au milieu du XIXe siecle.

Encore avant la IIe guerre mondiale mon grand-père rendit visite à ses cousins éloignés à Mâcon - Elisabeth Jouffray et Gaston Jordan-Żorawski.

Comme mon grand-père le fit, j’ai voulu aussi suivre ses traces en me rendant à mon tour à Mâcon apres la guerre. Mes cousins, Huguette (née Żorawska, fille d’Elisabeth et Gaston) et son mari Pierre Mariotte me conduisirent à Sancellemoz pour me montrer le sanatorium où était dècèdèe Maria Curie-Skłodowska, scientifique française d’origine polonaise, deux fois prix Nobel.

Je me suis également rendu au Panthéon à Paris pour m’incliner devant la crypte où reposent Maria et Pierre Curie.

Sit transit Gloria mundi...

Que notre bienveillant souvenir puisse toujours les accompagner.

 

 

Traduction: Wanda Nowakowska 2004